Invitée le 9 juin dernier dans le cadre de l’Agora de la Ville d’Avignon, la réalisatrice et journaliste d’investigation Marie-Monique Robin (Prix Albert Londres, 1995) a présenté lors d’une soirée évènement au cinéma le Vox son documentaire La Fabrique des Pandémies. Salutaire et pédagogique, ce film explique le rôle des humains dans l’effondrement de la biodiversité et le lien avec l’émergence des zoonoses (maladies transmises aux humains par les animaux). Un film qui démontre que notre santé dépend directement des écosystèmes : « Plus on déforeste, plus on perd en biodiversité, plus on a d’épidémies : c’est la Fabrique des Pandémies ». Rencontre.
En amont de votre documentaire, il y a une enquête écrite ?
Je fais toujours ça, un film et un livre. D’habitude je tourne le film et j’écris le livre en même temps. J’ai fait ça pour Le Monde selon Monsanto, les Moissons du futur, Sacrée croissance… Avec la Covid j’ai d’abord écrit le livre ; il est sorti en janvier 2020, ça a été un best-seller, plus de 60 000 exemplaires ! Le film est sorti en avant-première le 22 avril 2022 à l’Unesco et depuis je suis allée partout pour le présenter, en France, en Suisse, en Belgique…
Pourquoi traiter du sujet de la biodiversité ?
Je travaille depuis des années sur le lien entre l’environnement et la santé, mais jamais précisément sur la question de la biodiversité, qui avait toujours été dans mes films comme une victime des agissements de l’agro-industrie par exemple, mais jamais comme sujet central. En 2020, j’ai lu un article dans le New-York Times qui titrait « c’est nous les humains, qui avons fait la pandémie ». Et là j’ai basculé. J’ai rencontré 62 scientifiques des cinq continents qui tirent tous la sonnette d’alarme depuis plusieurs décennies en disant : « Attention si nous continuons de détruire les écosystèmes nous allons rentrer, ou peut-être même sommes-nous déjà rentrés, dans une ère d’épidémie de pandémies ». Avant la Covid, la liste est déjà très longue, Ebola, Sida, Sras… toutes ces maladies ont pour point commun la déforestation. Ils ont démontré par leurs travaux que c’est véritablement la destruction de la biodiversité qui est à l’origine de ces émergences de zoonoses.
Déforestation et urbanisation, agriculture industrielle, globalisation… autant de facteurs qui conduisent à la destruction des écosystèmes, et donc mettent en péril notre santé ?
Les chercheurs ont démontré qu’en déforestant les zones tropicales, très riches en biodiversité animale, en faune sauvage, en arbres, avec beaucoup de micro-organismes et d’agents pathogènes, c’était logique que cela perturbe les équilibres et fasse sortir les virus ! L’élevage intensif est aussi un amplificateur, comme la globalisation. Ce qu’ils ont démontré, c’est que la biodiversité réduit le risque infectieux. C’est ce qu’on appelle l’effet de dilution. L’exemple de la maladie de Lyme, provoquée par la prolifération de rongeurs généralistes porteurs de ce virus, intéresse beaucoup de gens car tout le monde est concerné. On comprend que plus on a une grande diversité de mammifères dans une forêt, plus la probabilité que des espèces telle que la tique s’infecte est extrêmement dilué. Il y a 5 fois plus de probabilité de l’attraper dans des forêts fragmentées. Et ça marche pour plein de maladies ! C’est pour ça que je dis toujours, avec un peu d’autodérision, que la biodiversité ça pas un supplément d’âme pour bobo écolo à vélo ! C’est bien plus que ça, c’est notre maison commune, elle nous rend plein de services écosystémiques, dont l’un d’entre eux totalement méconnu est celui de réguler les maladies.
L’actrice Juliette Binoche est le fil rouge de votre documentaire, pourquoi elle ?
Ce n’était pas prévu, mais elle m’a appelé un jour et me propose, en tant que présidente d’un festival de films sur l’environnement, de faire partie du jury. On a sympathisé, je lui ai expliqué mon travail et le sujet, elle m’a dit que ça l’intéressait, qu’elle voulait comprendre. Elle a lu le livre dans tous les sens, je préparais les questions pour les scientifiques qui ont été obligé de faire de la pédagogie, et elle a fait ses propres pas de côté, en apportant sa sensibilité, de la légèreté. On a tourné dans des endroits extraordinaires !
Quelles sont les solutions ?
Le film remet de la cohérence dans ce qu’on vit. On comprend les causes, donc s’il y a des causes on peut agir. C’est rassurant. Ce qu’il faut comprendre aussi, c’est que la destruction et la perte de biodiversité dans nos espaces urbains occidentaux font que nos enfants, entre 0 et 2 ans, pour pouvoir avoir une flore intestinale riche, un système immunitaire fort et être à l’abri des excès inflammatoires (allergies, asthme, obésité, diabète…), doivent être en contact avec plein de microbes, pour « challenger » et enrichir leur flore intestinale. On a besoin véritablement dans nos villes de réintroduire des arbres, des jardins potagers dans les écoles. La biodiversité nous protège, on a besoin d’elle pour construire nos systèmes immunitaires : ça a évidemment des implications dans l’urbanisme.
Un prochain sujet… ?
Oui, c’est possible ; on parle de plus en plus de microbiote, du lien entre biodiversité interne et biodiversité externe.
Comment agir ?
Pour commencer en mangeant beaucoup moins de viande, à consommer bio et locale, et sortir de cette obsession de l’hygiène, transformer les pelouses en jardins, revégétaliser !
Pourquoi une telle implication dans les problématiques environnementales ?
Ça fait 40 ans que je fais ça ! Mon fil rouge ce sont les droits humains, tout est une question de droits humains. Puis au fur et à mesure que j’avançais dans mes livres, sont venues les questions de l’agriculture, des semences, de la pollution, des maladies chroniques…
La Fabrique des pandémies, à voir en libre accès sur France TV Outre-Mer
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